C’est un phénomène illégal et inquiétant qui se propage à Sète. Le marché immobilier sétois est devenu une jungle où même les logements sociaux, censés être un rempart contre la précarité, sont détournés au profit de locations saisonnières sur des plateformes comme Airbnb et Le Bon Coin.
Alertés en juin dernier par des résidents excédés par le bruit incessant des valises à roulettes, nous avons initialement mené un reportage sur ces nuisances sonores. Mais au fil de nos rencontres, nous avons mis au jour une réalité bien plus troublante, plusieurs des logements accueillant des vacanciers n’étaient autres que des logements sociaux. Ces appartements, financés par l’argent public pour permettre aux plus démunis de se loger dignement, sont aujourd’hui transformés en machines à cash au nez et à la barbe de la municipalité.
Lors d’une enquête, menée par notre rédaction entre juillet 2024 et janvier 2025, nous avons identifié plus d’une dizaine d’annonces proposant à la location des logements sociaux. Une pratique illégale qui prospère dans l’ombre, échappant aux contrôles et aux sanctions. La grande majorité de ces appartements sont dissimulés dans des résidences mixtes, où ils côtoient des logements privés, rendant leur identification encore plus difficile. Nous avons constaté que les annonces sont souvent mises en ligne à la dernière minute, un stratagème bien rodé permettant aux fraudeurs de contourner la vigilance des autorités locales et de maximiser leurs profits en toute discrétion.
Parmi les rares locataires que nous avons contactés et qui ont accepté de témoigner, une femme seule avec trois enfants nous confie, « je ne savais pas que c’était interdit, vous me l’apprenez. C’est moi qui gère les entrées et sorties des clients sans me cacher, donc pour vous dire que je ne savais vraiment pas que c’était illégal. » Lorsqu’on lui demande où elle loge avec ses enfants quand son appartement est loué, elle répond sans sourciller, « je vais chez ma mère pendant les vacances. En plus, ça m’arrange, elle peut garder mes enfants pendant que je m’occupe des clients et que je fais le ménage. » Interrogée sur les revenus générés par ces locations saisonnières, elle esquive la question, « désolé, je ne peux pas vous dire, c’est privé ça. » Une réponse qui en dit long sur l’opacité du système et les gains potentiellement conséquents qu’il génère. La misère sociale, la précarité et plus encore, une politique affairiste menée sans garde-fou ont transformé des citoyens en acteurs involontaires d’un système frauduleux.
Sur les hauteurs de l’espace Georges Brassens, un autre locataire célibataire, sans enfants, qui a accepté de nous répondre, assume sans détour la sous-location illégale de son appartement. « Tout le monde loue son logement à Sète, pourquoi pas moi ? », interroge-t-il, conscient des risques. Contrairement au premier témoignage, où une mère de famille avec trois enfants ignorait l’interdiction, lui sait pertinemment qu’il agit en dehors du cadre légal. « Oui, c’est illégal. Et alors ? Quand ils m’attraperont, je rendrai les clés », affirme-t-il avec désinvolture. Face aux difficultés économiques, il se justifie, « il faut comprendre qu’on crève de faim ici, il n’y a pas de travail, sauf pour des petits boulots. Si je ne fais pas ça, je fais quoi ? Vous préférez que je vende de la drogue plutôt que de louer un appartement ? » Un témoignage brut, qui met en lumière la précarité et l’économie parallèle qui s’installe face au manque d’opportunités.
Selon nos informations, Sète Thau Habitat est pleinement conscient du problème et surveille activement les plateformes de location saisonnière. Pourtant, traquer ces locataires fraudeurs relève du défi. Une source interne nous confie, « les annonces sont difficiles à repérer, car elles comportent rarement des indices précis permettant de les localiser. Souvent, seules des photos des intérieurs sont publiées, rendant l’identification des logements quasiment impossible. » Pourtant, certains fraudeurs ont bel et bien été identifiés durant l’année 2024 et convoqués par Sète Thau Habitat pour s’expliquer. Mais cette même source reste évasive quant aux éventuelles sanctions prises à leur encontre des locataires frauduleux. « Le sujet est sensible, car ces locataires sont aussi des électeurs. Virer l’un d’eux, c’est potentiellement perdre les voix de toute une famille, ce qui devient problématique à l’approche des municipales. »
D’autres communes du bassin de Thau sont également touchées par ce phénomène. Nous avons pu recenser, avec facilité, plusieurs logements sociaux proposés à la location pour la saison estivale qui approche à grands pas, notamment à Frontignan, Marseillan et Balaruc-les-Bains. Une simple prise de contact avec les numéros de téléphone figurant sur des annonces suspectes a suffi à confirmer la mise en sous-location de ces logements sociaux.
Pendant que des centaines de familles attendent désespérément un logement social, d’autres détournent le système en toute impunité. Comment expliquer qu’après vingt-cinq ans de gouvernance municipale à Sète, la situation soit à ce point hors de contrôle ? Ce phénomène ne se limite pas à la pression touristique ou à la crise du logement. Il est le résultat direct d’une politique affairiste désastreuse qui a complètement détruit l’âme de Sète, mais aussi du bassin de Thau lorsque l’on s’intéresse de plus près à ce qui se joue dans certaines communes.
Les premières victimes ne sont pas seulement les demandeurs de logements sociaux, mais aussi les propriétaires qui déclarent légalement leurs locations saisonnières et paient leurs taxes au prix fort. Contrairement aux fraudeurs, eux subissent une régulation stricte sans bénéficier de la moindre protection de la municipalité.
Espérons que les autorités locales prendront enfin la mesure de ce phénomène grandissant et mettront de l’ordre dans ce véritable Far West immobilier. Entre calculs électoraux et absence de contrôle efficace, la ville de Sète laisse cette pratique s’enraciner, au détriment des familles en attente d’un logement et des propriétaires, eux, contraints de se plier à une réglementation stricte.