La Cour européenne des droits de l’Homme a sanctionné la France pour les défaillances dans l’encadrement du maintien de l’ordre lors des affrontements à Sivens en 2014, qui avaient conduit à la mort du jeune botaniste Rémi Fraisse. Une reconnaissance tardive de la responsabilité de l’État, dénoncent ses proches.
Près de dix ans après la mort de Rémi Fraisse, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour avoir failli à ses obligations en matière de protection des citoyens face à l’usage de la force. Dans un arrêt rendu jeudi, la Cour a pointé des « lacunes juridiques et administratives » ainsi que des « manquements dans la préparation et la conduite » des opérations de maintien de l’ordre lors des heurts autour du chantier du barrage de Sivens (Tarn), dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014.
Rémi Fraisse, un botaniste de 21 ans, avait trouvé la mort après l’explosion d’une grenade offensive lancée par un gendarme. L’affaire avait suscité une vive émotion et relancé le débat sur l’usage de la force par les forces de l’ordre dans le cadre des manifestations. Selon la CEDH, l’État français n’a pas garanti « le niveau de protection requis » pour prévenir les risques liés à l’emploi de moyens potentiellement létaux. L’institution strasbourgeoise estime néanmoins que l’enquête menée sur les circonstances du drame ne souffrait d’aucun « manquement à l’indépendance et à l’impartialité ».
L’arrêt de la Cour a été accueilli avec soulagement, mais aussi amertume par les proches de la victime. Pour Jean-Pierre Fraisse, père du jeune homme, cette décision met en lumière un « temps perdu » dans la reconnaissance des responsabilités de l’État. Son avocat, Me Patrice Spinosi, souligne que la condamnation établit clairement « le recours inapproprié à la force » et appelle les autorités françaises à revoir en profondeur leur politique de maintien de l’ordre pour éviter que de tels drames ne se reproduisent.
Lors des affrontements cette nuit-là, les forces de gendarmerie avaient tiré plus de 700 grenades, dont 42 offensives. Un usage massif qui interroge d’autant plus que Rémi Fraisse, décrit par ses proches comme « pacifiste » et éloigné de toute radicalité militante, n’avait manifestement pas de comportement menaçant. Alors que l’exécutif affirmait avoir donné des consignes « d’apaisement », les ordres transmis sur le terrain appelaient à une « extrême fermeté », créant un contexte de confusion et d’escalade de la violence.
Malgré ces éléments, l’enquête judiciaire avait abouti à un non-lieu, confirmé en appel puis en cassation, suscitant une vive frustration chez la famille et les défenseurs des droits humains. La reconnaissance de la CEDH constitue ainsi une étape symbolique, mais elle ne répare ni l’absence de poursuites ni les années d’attente. Face à cette condamnation, la France se voit désormais contrainte de tirer les enseignements de ce drame et d’adapter son cadre juridique pour encadrer plus strictement l’usage de la force en maintien de l’ordre.