Une panne technique inédite et des échanges houleux ont marqué une séance parlementaire dédiée à la lutte contre le narcotrafic. Les députés ont rejeté une proposition controversée sur l’accès aux messageries cryptées, tout en adoptant des mesures sur le renseignement algorithmique et les repentis.
La nuit du 20 mars 2025 restera dans les annales de l’Assemblée nationale. Les députés ont débattu pendant des heures d’un projet de loi visant à renforcer la lutte contre le narcotrafic, un texte qui a suscité des tensions et des rebondissements inattendus. Au cœur des discussions, une proposition du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, visant à obliger les plateformes de messageries cryptées, comme Signal ou WhatsApp, à transmettre les échanges des trafiquants de drogue aux services de renseignement. Une mesure jugée trop intrusive par de nombreux élus, qui ont finalement rejeté l’article après un vote laborieux.
En commission des Lois, la semaine précédente, les députés avaient déjà supprimé cette disposition, craignant qu’elle ne crée une faille de sécurité mettant en danger la confidentialité des communications de tous les utilisateurs. Dans l’hémicycle, trois députés du bloc central ont tenté de réintroduire une version amendée de l’article, arguant qu’elle prenait en compte les inquiétudes exprimées. Mais leur proposition n’a pas convaincu, y compris au sein de leur propre camp. Les débats ont été vifs, certains accusant le ministre de vouloir « faire revenir sa mesure par la fenêtre », tandis que d’autres qualifiaient les auteurs des amendements de « porte-flingues ».
Le vote, initialement prévu par scrutin public électronique, a été perturbé par une panne technique rarissime. Pendant près d’une heure, les services de l’Assemblée ont tenté de réparer le système, sans succès. Certains députés ont même évoqué l’hypothèse d’un piratage. La vice-présidente Naïma Moutchou a finalement rassuré l’assemblée, expliquant qu’il s’agissait simplement d’une « petite pièce du système qui a chauffé sous la tension ». Le vote s’est donc déroulé de manière traditionnelle, avec un appel nominal des 577 députés, une procédure qui a duré une demi-heure. Le résultat, annoncé peu avant minuit, a confirmé le rejet de la mesure : 119 voix contre, 24 pour.
Malgré ce revers, Bruno Retailleau a obtenu un succès partiel avec l’adoption d’une autre disposition controversée : l’expérimentation du renseignement algorithmique pour détecter les menaces liées à la criminalité organisée. Cette mesure, vivement critiquée par les députés insoumis, écologistes et communistes, a été qualifiée de « nouveau pas vers une surveillance généralisée ». La députée Elisa Martin a dénoncé des « filets extrêmement larges jetés sur nos vies privées et nos libertés ». Les opposants ont également regretté l’absence de rapports d’évaluation sur l’efficacité de cette méthode, déjà utilisée dans la lutte contre le terrorisme et les ingérences étrangères.
Plus tôt dans la journée, Gérald Darmanin, ministre de la Justice, avait défendu une autre mesure phare du texte : la refonte du régime des « repentis ». Inspiré de la loi antimafia italienne, ce dispositif vise à encourager les membres des organisations criminelles à collaborer avec la justice en échange d’une réduction de peine pouvant aller jusqu’à deux tiers. Cette proposition a fait l’unanimité dans l’hémicycle, y compris parmi les députés insoumis. Antoine Léaument, auteur d’un rapport récent sur la légalisation du cannabis, a salué cette avancée, tout en soulignant la nécessité de mieux protéger les repentis et leurs familles.
Les débats sur ce texte dense et complexe se poursuivront vendredi, avec d’autres amendements et propositions à l’ordre du jour. Une chose est sûre : cette nuit agitée a montré que les enjeux de sécurité et de libertés individuelles continuent de diviser profondément les élus.