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« Tan Man Neelo Neel » : une série pakistanaise brise le tabou des lynchages pour blasphème

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Pour la première fois à la télévision pakistanaise, une série ose aborder la question ultra-sensible des lynchages pour blasphème. Un sujet longtemps évité par crainte des représailles, mais qui trouve enfin un écho à travers une fiction audacieuse.

Au Pakistan, où les accusations de blasphème ont souvent conduit à des violences extrêmes, la série « Tan Man Neelo Neel » (« Des bleus au corps et à l’âme ») marque un tournant. Produite par Hum Network, l’une des principales chaînes privées du pays, cette œuvre en onze épisodes met en lumière les lynchages collectifs, un phénomène qui a coûté la vie à des dizaines de personnes. Le dernier épisode, particulièrement poignant, montre un jeune couple traqué et tué par une foule en colère après avoir été accusé à tort de profanation.

Sultana Siddiqui, réalisatrice et fondatrice de Hum Network, a pris un risque considérable en abordant ce sujet. « Personne n’osait en parler par peur des extrémistes », confie-t-elle, évoquant notamment le cas de Machal Khan, un étudiant en journalisme lynché par ses camarades en 2017 pour des publications supposées blasphématoires sur les réseaux sociaux. « J’ai été bouleversée par le récit de sa mère, qui racontait que tous les os de son fils avaient été brisés », ajoute-t-elle, les larmes aux yeux.

La série, bien que prudente dans sa manière d’aborder le sujet, a suscité un vif débat dans un pays où les accusations de blasphème sont souvent utilisées pour régler des comptes personnels. Les dix premiers épisodes explorent des thèmes sensibles comme la danse, les réseaux sociaux ou les violences sexuelles, avant de culminer avec la scène du lynchage, traitée avec une certaine retenue artistique. Cette approche a permis à la série de toucher un large public, dans un pays où près de 40 % de la population est accro aux séries télévisées.

Pour Moustafa Afridi, le scénariste, il était temps de briser le silence. « Si on en avait parlé plus tôt, peut-être que ces drames auraient pu être évités », estime-t-il. Les familles des victimes, comme celle de Machal Khan, voient dans cette série un hommage nécessaire. « Le monde entier parle du blasphème au Pakistan, mais nous, les concernés, nous n’osons pas en discuter ouvertement », souligne Mohammed Iqbal, le père de Machal.

Malgré son succès, la série reste prudente. Les scènes de violence sont atténuées par une bande-son et des ralentis, et le sujet du blasphème n’est abordé qu’en filigrane. Une prudence justifiée, selon Sultana Siddiqui, qui reconnaît craindre les représailles des groupes extrémistes. « Il fallait traiter le sujet avec respect », explique-t-elle.

Cette initiative audacieuse a toutefois ouvert la voie à un débat plus large sur les structures qui permettent ces violences. Arafat Mazhar, militant des droits humains et fondateur de l’Alliance contre la politique du blasphème, salue cette avancée. « La série a déclenché une critique inédite de la violence collective. Les gens ne se contentent plus de regarder, ils discutent et remettent en question les mécanismes qui alimentent ces lynchages. »

Dans un pays où les accusations de blasphème peuvent ruiner des vies et où les forces de l’ordre peinent souvent à protéger les accusés, « Tan Man Neelo Neel » représente un pas vers une prise de conscience collective. Reste à savoir si cette série pourra inspirer des changements concrets dans une société encore profondément marquée par la peur et l’intolérance.

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