Une découverte archéologique majeure révèle que la capitale ivoirienne était un foyer de vie humaine bien avant ce que l’on imaginait. Une étude publiée dans Nature confirme cette présence ancienne, bouleversant nos connaissances sur l’évolution humaine en milieu forestier.
Dans le quartier d’Anyama, à Abidjan, les rues animées et les grillades fumantes contrastent avec un passé insoupçonné. Il y a 150.000 ans, cette zone était une vaste forêt tropicale où vivaient des Homo sapiens. Une équipe internationale d’archéologues et d’anthropologues vient de confirmer cette présence humaine ancienne, repoussant les limites de ce que l’on savait jusqu’alors. Avant cette découverte, les traces les plus anciennes d’Homo sapiens en milieu forestier dataient de 70.000 ans, principalement en Asie et en Océanie.
Les fouilles, menées dès 1982 par l’archéologue ivoirien François Guédé Yiodé, ont permis de mettre au jour des outils en pierre datant du Pléistocène. Ces artefacts, taillés dans du silex, du quartz et d’autres roches, témoignent d’une maîtrise technique sophistiquée. Certains outils, comme les « choppers », étaient utilisés pour dépecer les animaux, tandis que d’autres servaient à fendre des matériaux. Ces découvertes, conservées chez M. Guédé Yiodé, ont été analysées en Allemagne grâce à des financements européens.
Cette étude souligne l’importance des forêts africaines dans l’évolution humaine. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle ces milieux représentaient une barrière écologique, les Homo sapiens s’y sont adaptés avec succès. Les chercheurs insistent sur le rôle clé des biomes africains, riches en diversité, dans le développement de notre espèce. Pour François Guédé Yiodé, cette découverte doit dissiper les doutes sur la présence précoce de l’homme en Afrique.
Pourtant, malgré l’importance de ces travaux, l’archéologie en Côte d’Ivoire peine à se développer. Le manque de financements, de matériel et de spécialistes freine les recherches. M. Guédé Yiodé, considéré comme le seul expert de la préhistoire dans le pays, a dû financer lui-même les premières fouilles. Il déplore également la destruction du site d’Anyama, transformé en carrière sans aucune protection. Aujourd’hui, il espère exposer sa collection dans un musée pour partager ces trésors avec le public et les chercheurs.
Cette découverte pourrait aussi inspirer une nouvelle génération d’étudiants en archéologie et en anthropologie. Akissi Diane Guebie, étudiante en licence, voit dans cette étude une opportunité pour encourager les jeunes à s’intéresser à ces disciplines. Eugénie Affoua Kouamé, chercheuse à l’Institut d’histoire, d’art et d’archéologie africains, souligne que la Côte d’Ivoire regorge de sites archéologiques encore inexplorés.
Alors que la forêt tropicale d’Abidjan ne couvre plus que 3.500 hectares, cette découverte rappelle l’urgence de préserver ces espaces naturels et leur patrimoine historique. Elle offre aussi une nouvelle perspective sur l’histoire de l’humanité, en montrant que les forêts africaines ont été des berceaux essentiels de notre évolution.