Alors que l’ancien président philippin comparaît devant la CPI, les proches des victimes de sa « guerre contre la drogue » expriment leur colère et leur douleur, des milliers de kilomètres plus loin.
Ce vendredi 14 mars 2025, une scène poignante s’est déroulée dans une modeste salle d’une église de Manille. Huit femmes, veuves et mères endeuillées, ont suivi avec émotion la retransmission de la comparution de Rodrigo Duterte devant la Cour pénale internationale (CPI). Chacune d’elles tenait entre ses mains la photo d’un être cher, disparu lors de la sanglante campagne antidrogue menée par l’ancien président. Ce dernier, âgé de 79 ans, est le premier ex-chef d’État asiatique à être inculpé par la CPI pour crimes contre l’humanité, en lien avec les dizaines de milliers de morts recensés pendant son mandat (2016-2022).
L’audience, brève et protocolaire, s’est déroulée par visioconférence. Duterte, visible depuis son centre de détention, a simplement confirmé son identité. Mais pour les familles des victimes, entendre son nom a suffi à raviver des souvenirs douloureux. Normita Lopez, 60 ans, a éclaté en sanglots en évoquant son fils, abattu par la police sous prétexte de « résistance à l’arrestation », un terme souvent utilisé pour justifier les exécutions extrajudiciaires. « Son nom nous inspire de la peur et du mépris », a-t-elle déclaré, la voix tremblante.
Dans la salle, les réactions ont oscillé entre larmes et sarcasmes. Certaines femmes ont ironisé sur l’apparence de Duterte, qui ne semblait « pas fatigué » malgré son long voyage depuis Manille. D’autres, comme Sheerah Escudero, ont exprimé leur frustration face à l’injustice subie par leurs proches. « Mon frère a été enlevé et tué. A-t-il jamais eu la chance de se défendre ? », a-t-elle lancé, la colère au bord des larmes. Jane Lee, dont le mari a été victime de cette répression, a confié avoir eu du mal à contenir sa rage en voyant Duterte à l’écran. « Quand je l’ai vu, j’ai été submergée par la colère », a-t-elle avoué, se remémorant les moqueries de l’ancien président lors d’une audition au Sénat.
La décision de la CPI de reporter la prochaine audience à six mois a suscité un mélange de déception et d’espoir parmi les familles. « Nous espérons qu’il ne reviendra pas aux Philippines, pour que nous puissions enfin goûter à la paix », a déclaré Jane Lee. Cependant, les partisans de Duterte, eux, dénoncent un « enlèvement » orchestré par des rivalités politiques internes, notamment entre la famille Duterte et celle du président actuel, Ferdinand Marcos.
Alors que le procès s’annonce long et complexe, les familles des victimes restent déterminées à obtenir justice. Pour elles, cette comparution marque un premier pas vers la reconnaissance des crimes commis sous le régime de Duterte, mais aussi un moment de confrontation avec celui qu’elles considèrent comme leur bourreau.