Un projet de rénovation urbaine secoue les habitants des Abymes, partagés entre l’urgence sanitaire et l’attachement à leur histoire.
Au cœur des Abymes, en Guadeloupe, les engins de chantier s’activent dans le quartier de Vieux-Bourg, réduisant en gravats des habitations jugées insalubres. Cette opération, lancée par les autorités locales, vise à transformer un secteur marqué par la précarité, mais elle suscite aussi des résistances et des inquiétudes parmi les résidents, attachés à leur cadre de vie malgré ses difficultés.
Les ruelles étroites du quartier portent les stigmates du temps : façades décrépies, amas de détritus et végétation envahissante. Sur certaines portes, des avis de démolition rappellent l’échéance imminente. Près de 160 logements sont concernés par ce plan de restructuration, dont une soixantaine ont déjà été évacués. Les relogements, pris en charge par les institutions publiques, se font progressivement, mais les procédures s’avèrent complexes en raison des situations foncières souvent floues. Beaucoup d’habitants, installés depuis des décennies, ne disposent pas de titres de propriété officiels.
Pour Georgette Sainte-Rose, 78 ans, cette décision sonne comme une injustice. Arrivée en 1975, elle redoute de quitter sa maison, malgré les problèmes d’insalubrité. « On nous promet des solutions depuis des années, mais rien ne vient », déplore-t-elle en évoquant les solidarités de voisinage et les jardins partagés qui rythment son quotidien. Une inquiétude partagée par Gitane Dragin, sa voisine, qui craint de perdre l’accès à ses soins médicaux si elle est relogée trop loin.
D’autres, comme Caliste Harry, cordonnier depuis plus de cinquante ans, refusent de voir leur activité bouleversée. On lui propose un local à Pointe-à-Pitre, mais l’idée de payer un loyer et de quitter sa clientèle le rebute. « Ici, c’est toute ma vie », confie-t-il, rappelant l’âge d’or économique du quartier, aujourd’hui disparu.
Les autorités assurent vouloir agir avec discernement, en tenant compte des particularités de chaque foyer. La ministre du Logement, en visite sur place, a promis des solutions sur mesure, tout en reconnaissant les limites du dispositif. Pour les habitants, cependant, le sentiment d’être dépossédés persiste. « On n’a pas le choix, alors on partira, mais ce sera un déchirement », résume Célina Mennock, présidente de l’association locale. Entre modernisation nécessaire et préservation d’une mémoire collective, Vieux-Bourg incarne les paradoxes d’une Guadeloupe en mutation.