L’univers des cartels s’invite dans les jeux en ligne mexicains

_**Une nouvelle génération de créateurs transpose la réalité violente du narcotrafic sur la plateforme Roblox, un phénomène qui interroge sur la frontière entre expression virtuelle et apologie.**_

Sur les écrans d’adolescents mexicains, les affrontements entre bandes criminelles ne relèvent plus seulement des faits divers. Ils sont désormais rejoués, modélisés et partagés dans des univers virtuels accessibles à tous. Une vague de jeux, conçus par de jeunes développeurs locaux, reproduit avec un souci du détail troublant les codes, les véhicules et les sigles des cartels qui ensanglantent le pays. Ces créations s’inscrivent dans un courant culturel plus large, où la figure du narcotrafiquant est érigée en symbole, influençant musique, mode et désormais l’espace numérique.

Les joueurs, âgés pour la plupart de treize à dix-huit ans et souvent originaires des régions du nord du Mexique, évoluent dans des simulations où l’objectif est de prendre le contrôle de territoires ou d’infrastructures, à l’image des stations-service de la compagnie pétrolière nationale. Les références à la réalité sont explicites, des blindés artisanaux aux armes plaquées or, empruntant directement à l’esthétique et aux méthodes des groupes criminels actifs sur le terrain. Pour certains observateurs, cette immersion ne relève pas d’une simple fascination morbide.

Des psychologues et chercheurs en sciences sociales y voient plutôt un mécanisme de défense face à un environnement quotidien marqué par l’insécurité. En endossant le rôle d’acteurs, même virtuels, de ces conflits, les jeunes utilisateurs chercheraient à apprivoiser une violence qui les dépasse et à transformer leur anxiété en une forme de libération contrôlée. Le jeu deviendrait ainsi un espace de catharsis, où s’exprime une quête de compréhension face à la brutalité du monde réel.

Cette tendance place les autorités et les plateformes hôtes dans une position délicate. Si le gouvernement mexicain a récemment instauré une taxe sur les jeux au contenu jugé violent, la modération de ces créations pose un défi technique et éthique considérable. Roblox, qui héberge une grande partie de ces simulations, a renforcé ses dispositifs de vérification d’âge et de modération. La plateforme doit naviguer entre la liberté de création, la protection des mineurs et la prévention de toute glorification des activités criminelles.

Le phénomène illustre une porosité croissante entre les réalités sociales et leurs représentations numériques. Il questionne la manière dont une génération, ayant grandi dans un contexte de conflit larvé, utilise les outils du divertissement pour dialoguer, parfois maladroitement, avec les traumatismes de son époque.