Au cœur de la City, une poignée de traders perpétuent un rituel séculaire, mêlant tradition et stratégie, tandis que le trading électronique domine partout ailleurs.
Dans l’enceinte du London Metal Exchange (LME), une scène presque anachronique se déroule quotidiennement. Alors que les marchés financiers ont largement basculé vers le numérique, une poignée de négociants en costume continuent de fixer les prix des métaux à la force de leurs voix. Le « Ring », une arène circulaire où résonnent les ordres criés, reste le dernier marché à la criée d’Europe, un vestige d’une époque où les transactions se concluaient dans le fracas des échanges verbaux.
Chaque jour, entre midi et treize heures quinze, les cours mondiaux des métaux non ferreux – cuivre, nickel, aluminium – y sont déterminés. Les traders, soumis à un code vestimentaire strict, se rassemblent autour de bancs en cuir rouge, feuilles de notes à la main. La sonnerie marquant le début des échanges retentit, et le silence s’impose soudain. Plus de conversations annexes, plus de téléphones portables : seuls les appareils filaires relient encore cette enceinte au reste du monde.
Pour les initiés, ces cinq minutes d’échanges relèvent autant de la stratégie que du spectacle. Les premières secondes sont feutrées, presque détendues, avant que l’intensité ne monte crescendo. Les négociants jouent leur partition comme au poker, dissimulant leurs intentions jusqu’aux ultimes instants. Puis, dans un déchaînement de voix et de gestes, les offres fusent, les courtiers relayant les ordres par téléphone, parfois un combiné à chaque oreille, dans un ballet organisé malgré l’apparent chaos.
Giles Plumb, trader expérimenté, évoque une ambiance moins féroce qu’autrefois. À son apogée, le Ring réunissait des centaines de professionnels, formant une clameur si dense qu’il était difficile de s’y entendre. Aujourd’hui, seules huit entreprises maintiennent cette tradition, face à la domination écrasante des plateformes électroniques.
Pourtant, malgré l’efficacité indéniable du trading en ligne, certains marchés ultra-spécialisés, comme celui des métaux, conservent une niche pour la criée. Le LME a même renoncé à supprimer définitivement ses séances physiques après la pandémie, préservant ainsi un pan unique de l’histoire financière. Mais pour combien de temps encore ? Alors que la majorité des transactions se font désormais en un clic, le Ring demeure un symbole tenace, un dernier rempart contre l’uniformisation numérique.