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Une jeunesse ukrainienne façonnée par la guerre

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Dans un pays en conflit depuis bientôt quatre ans, les adolescents et les enfants grandissent dans un quotidien bouleversé, entre deuils, isolement et résilience. Leur parcours, entre cours en ligne et écoles souterraines, dessine le visage d’une génération confrontée à une réalité hors norme.

À Balakliia, dans la région de Kharkiv, Bohdan Levchykov a quinze ans. Son père, militaire, est tombé au combat il y a près de trois ans. Sa mère, épuisée, lutte aujourd’hui contre la maladie. Autour d’eux, la ville, brièvement occupée puis reprise, ne compte plus guère de jeunes habitants. Les lieux de sociabilité d’autrefois, comme le skatepark ou les berges de la rivière, sont désertés, parfois encore considérés comme dangereux. L’adolescent suit sa scolarité à distance, depuis l’appartement qu’il partage avec sa mère. Leur routine est scandée par les alertes aériennes. Lorsqu’elles retentissent, ils se réfugient dans l’entrée, la pièce la plus protégée, faute de pouvoir descendre aux abris. Une adaptation forcée qui ne semble pourtant pas entamer le calme apparent du jeune garçon. Sa mère observe, non sans une certaine perplexité, cette capacité à composer avec l’adversité, un trait qu’elle perçoit chez beaucoup d’enfants.

Cette résilience juvénile fait l’objet d’études. Une enquête menée fin 2023 auprès de près de vingt-quatre mille jeunes Ukrainiens révèle que, si le sentiment de bonheur a significativement diminué depuis le début de l’invasion, les adolescents font preuve d’une aptitude notable à affronter la guerre. Fait marquant, pour plus d’un tiers d’entre eux, le principal facteur de stress demeure les examens scolaires, devant les sirènes d’alerte. Ces données suggèrent que le conflit est désormais intégré à leur normalité. Près d’un million d’élèves étudient en ligne, un isolement amplifié dans des régions comme celle de Kharkiv, régulièrement bombardée. Les infrastructures éducatives paient un lourd tribut, avec des centaines d’établissements endommagés ou détruits à travers le pays.

Pour répondre à ce défi, des solutions émergent. À Kharkiv, des écoles souterraines ont été construites, permettant à des élèves comme Yevenhelina Tuturiko, quatorze ans, de retrouver une salle de classe et une socialisation réelle, après des années d’enseignement à distance. Ces bunkers scolaires, équipés de portes blindées et conçus pour résister aux bombardements, sont devenus des havres. Leur développement a même incité certaines familles à revenir dans la ville. Le sport, lui aussi, tente de se réinventer. Dans des clubs, des entraîneurs organisent discrètement des séances, les compétitions officielles étant suspendues. À la piscine municipale, rouverte après des frappes, l’accent est mis sur l’activité physique comme exutoire, pour les soldats comme pour les enfants.

L’impact psychologique de cette exposition prolongée à la violence préoccupe les spécialistes. Le système de santé mentale, en reconstruction après des décennies de négligence sous l’ère soviétique, manque de ressources. Des initiatives tentent d’y remédier, comme la formation de milliers de professionnels de santé de première ligne. Sur le terrain, des psychologues interviennent auprès des plus jeunes. Ils constatent une montée de l’anxiété, des cas d’automutilation et de pensées suicidaires chez les adolescents. Pour certains, la réponse passe par un engagement radical ou militaire. D’autres, comme Kostiantyn Kosik, dix-huit ans, originaire du Donbass, portent les stigmates physiques de années de stress, tout en poursuivant des études de droit avec l’espoir de défendre les droits humains.

Malgré tout, les rêves persistent. Bohdan, à Balakliia, s’est fait une amie en ligne, Lana, qui habite à plusieurs centaines de kilomètres. Son souhait le plus cher est de pouvoir la rencontrer un jour. Une aspiration simple, qui résume le paradoxe de cette génération, contrainte de grandir trop vite tout en cherchant à préserver les fragments d’une adolescence ordinaire. Alors que les frappes continuent de frapper près de chez lui, cet espoir ténu illustre une forme de résistance silencieuse, celle de continuer à vivre et à projeter son avenir, coûte que coûte.

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