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L’attente infinie des familles de migrants guinéens

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_**À Conakry, des parents cherchent désespérément la trace de leurs enfants partis vers l’Europe. Une organisation tente de rompre leur isolement et d’apporter des réponses dans un contexte de silence généralisé.**_

Dans la banlieue de Conakry, Abdoul Aziz Baldé conserve précieusement sur son téléphone le dernier selfie de son fils. Le cliché montre un jeune homme souriant, Idrissa, dont la trace s’est perdue il y a plus d’un an au large des côtes marocaines. Comme lui, des milliers de Guinéens ayant tenté de gagner l’Europe par des voies clandestines sont portés disparus, laissant leurs proies dans un état d’incertitude permanent. Le phénomène, massif dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, reste largement occulté, tant au niveau national qu’international.

Les parcours de ces jeunes s’interrompent à différentes étapes d’un périple semé d’embûches. Certains échouent lors de la traversée du désert, abandonnés par des passeurs. D’autres disparaissent lors de rafles policières au Maghreb, durant une détention en Libye, ou encore après avoir atteint le continent européen, rongés par l’échec et coupant tout contact. Leurs familles, livrées à elles-mêmes, scrutent alors les réseaux sociaux, parcourant des groupes WhatsApp à la recherche d’indices, confrontées parfois à des images insoutenables de corps non identifiés.

Face à cette détresse, l’Organisation guinéenne pour la lutte contre la migration irrégulière (OGLMI) mène un travail de fourmi. Ses membres sillonnent les quartiers de la capitale pour rencontrer les familles, recueillir des informations et tenter de retracer les itinéraires des disparus. Leur objectif est double, rompre l’isolement des proches et transmettre les éléments recueillis à un réseau de contacts disséminés du Maghreb à l’Europe, voire jusqu’aux Amériques. Pour Elhadj Mohamed Diallo, directeur de la structure, le nombre de Guinéens manquant à l’appel se compte en milliers, une réalité qu’il qualifie de tabou.

Les récits des parents se ressemblent, marqués par la même douleur et les mêmes questions sans réponse. Abdoulaye Diallo n’a plus de nouvelles de son fils aîné depuis mars 2023. Il évoque un parcours chaotique à travers le Maroc, la Tunisie et la Libye, où le jeune homme a connu la prison. Le père imagine désormais organiser une cérémonie, tout en refusant d’admettre la mort en l’absence de preuve tangible. Cette ambiguïté est au cœur du drame vécu par ces familles, suspendues entre un espoir ténu et la nécessité d’un deuil impossible.

Les autorités guinéennes, sous l’égide d’une junte au pouvoir depuis 2020, abordent peu la question publiquement. Un responsable officiel évoque la prudence nécessaire face au terme « disparu », arguant que certains migrants, honteux de leur échec, choisiraient délibérément de se couper de leurs proches. Cette position contraste avec le constat des associations, qui dénoncent l’absence de reconnaissance politique d’une tragédie d’une telle ampleur. La chercheuse Helena Maleno souligne que des villages entiers se vident parfois de leur jeunesse.

Au-delà de la recherche active, l’OGLMI tente d’apporter un soutien psychologique. L’organisation a créé des groupes de parole et des canaux de communication en langues locales pour briser la solitude des familles. Elle alerte aussi sur les séquelles psychiques subies par de nombreux rescapés, marqués par des violences extrêmes ou la perte de compagnons de route. Parfois, les efforts aboutissent. L’ONG a ainsi pu localiser un jeune homme sans domicile fixe en France, permettant à sa mère de renouer un contact après deux années de silence.

Pour la majorité, cependant, l’attente se prolonge dans l’angoisse. Idrissa Diallo espère toujours que son fils, disparu en Libye il y a quatre ans, pourrait être détenu dans une prison ou un centre. Il consulte régulièrement un marabout qui lui assure que le jeune homme est en vie. Dans ce vide institutionnel et face à l’indifférence générale, le travail de l’OGLMI apparaît comme une bouée de sauvetage, rappelant que derrière les statistiques se cachent des destins individuels et un droit fondamental, celui de savoir.

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