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La pègre japonaise à l’heure du crime digital

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_**L’émergence de réseaux criminels anonymes et décentralisés, les « tokuryu », bouleverse le paysage du crime organisé au Japon. Ces structures flexibles, spécialisées dans la fraude à grande échelle, éclipsent désormais les yakuzas traditionnels, contraints à un déclin inexorable par des lois répressives.**_

L’univers du crime organisé nippon connaît une mutation profonde. Une nouvelle génération de délinquants, opérant sous le nom de « tokuryu » – littéralement « anonymes et fluides » –, a supplanté l’influence des clans yakuzas historiques. Ces réseaux, dépourvus de hiérarchie rigide et de code d’honneur, recrutent leurs exécutants via internet pour des missions ponctuelles, de l’escroquerie au braquage. Leurs commanditaires restent insaisissables, dissimulés derrière des communications chiffrées.

Cette criminalité protéiforme cible principalement la population âgée du pays, avec des méthodes comme l’arnaque dite du « C’est moi ! », où des imposteurs se font passer pour des proies en détresse. Les pertes financières liées à ces fraudes organisées ont atteint des niveaux records, dépassant les 400 millions d’euros sur les sept premiers mois de l’année, selon les estimations officielles. La police métropolitaine de Tokyo en a fait sa priorité absolue, créant une unité spéciale dédiée à leur démantèlement.

Parallèlement, l’empire des yakuzas, ces organisations criminelles autrefois omniprésentes, se contracte significativement. Leur nombre a chuté de près de 80% depuis 1992, tombant à moins de 19 000 membres. Des décennies de législation anti-gang les ont privés d’accès aux services bancaires ou téléphoniques, érodant leur prestige et leur puissance économique. Leur code de conduite, qui prétendait épargner les citoyens ordinaires, les éloigne également des pratiques les plus lucratives des tokuryu.

Un fossé générationnel et culturel sépare désormais les deux mondes. Les jeunes délinquants, attirés par la flexibilité et les gains rapides, délaissent la structure pyramidale et les rites d’allégeance des clans traditionnels. Ils rejoignent plutôt les rangs des « hangure », des criminels indépendants souvent à la tête des réseaux tokuryu, qui peuvent alterner activités légales et illégales avec une discrétion impossible pour les yakuzas aux signes distinctifs marqués.

Malgré ce déclin et un mépris affiché pour les méthodes des nouveaux venus, des liens de coopération économique se sont noués. Certains groupes yakuzas, confrontés à la raréfaction de leurs revenus traditionnels, percevraient une part des profits générés par les escroqueries des tokuryu, en échange d’une forme de protection ou d’une assistance logistique. Cette collusion illustre l’adaptation pragmatique d’une vieille garde en perte de vitesse.

Des voix au sein du milieu dénoncent cette évolution comme une trahison des principes fondateurs. D’anciens membres insistent sur l’interdit de s’en prendre aux plus vulnérables, une règle aujourd’hui largement ignorée par les réseaux frauduleux. Pour d’autres, la survie même des structures yakuzas, qui conservent un ancrage territorial et un rôle d’ordre marginal, passe par une forme de résilience face à ces nouveaux concurrents sans foi ni loi. Le paysage criminel japonais, entre tradition et modernité, est entré dans une ère de recomposition incertaine.

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