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Économie

A Paris, dans les tours endormies de la Défense, plus grand quartier d’affaires d’Europe

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Un étage à moitié vide et un open space en quarantaine. Le nouveau quotidien de cette société illustre la réalité pesante à La Défense, fourmilière à l’arrêt depuis que le Covid-19 a remodelé l’activité autrefois foisonnante du plus grand quartier d’affaires européen aux portes de Paris.

Après avoir refermé la porte de l’espace de travail de 25 postes à l’isolement depuis qu’un cas Covid a été détecté au sein d’une équipe, Laurent Lévy, directeur général de Freelance.com, située au 18e étage de la Grande arche, parcourt les 1.200 m2 à moitié déserts de son entreprise de 200 salariés.

« On navigue à vue », lâche-t-il, sans compter « l’impact systémique qu’on va se prendre sur l’année 2021. »

Par la fenêtre du plateau plongé dans le noir, les immenses tours futuristes percent à peine le ciel de plomb en cette journée d’automne morose, près d’un an après l’apparition du coronavirus.

En contrebas, les cadres supérieurs en costume slaloment entre les gratte-ciels du quatrième centre d’affaires au monde. Les grandes enseignes et le centre commercial Les 4 Temps brassent leur flux de consommateurs. Des adolescents en baskets squattent les marches menant à la Grande arche, dont des techniciens en apesanteur réparent l’ascenseur vertigineux.

« Extérieurement, on dirait que c’est revenu à la normale », note Cyril de Thoury, manager dans une grande banque à La Défense.

Les rames du métro et du train de banlieue RER A déversent toujours au petit matin des grappes de travailleurs, certes masqués et silencieux, mais nombreux. Les terrasses de restaurants affichent complet au déjeuner. Les 564 hectares du quartier d’affaires semblent occupés.

Mais derrière les murs des 59 tours de verre et d’acier, plus rien ne ressemble au monde d’avant.

Selon l’établissement public Paris-La Défense, qui gère ce quartier construit dans les années 60, depuis la fin du confinement en France en mai, la fréquentation de ses quelque 180.000 salariés a baissé de 40%. Les 3,7 millions de m2 de bureaux des 500 entreprises sont bien clairsemés.

De la fourmilière qu’était La Défense, qui abrite banques, sièges sociaux du CAC 40 ou grandes entreprises internationales, « il ne reste pas grand-chose », soupire Rabah Kidri, responsable d’équipe dans une grande banque du quartier.

sens de circulation imposés

Au bureau de ce trentenaire, entre le télétravail, les mesures barrière et les sens de circulation imposés, les salariés ne sont « plus jamais en même temps au même endroit ». Les liens sociaux se délitent, le travail est ralenti.

« Pour aller voir Antoine qui est à trois chaises derrière moi, je suis obligé de faire le tour de deux salles », explique le jeune homme, au siège de son entreprise deux à trois jours par semaine.

« Si on le fait, c’est qu’il y a nécessité, (…) alors qu’avant, on pouvait le faire plusieurs fois dans la journée, ne serait-ce que pour voir comment ça allait ou se faire un petit coucou. »

Dans une autre tour, siège d’un géant de l’énergie, Mohamed, qui nettoie des bureaux à la Défense depuis 17 ans, a vu l’atmosphère changer radicalement.

« Avant le Covid, les employés se permettaient de boire un café avec nous, ils rigolaient. Maintenant, c’est travail, travail et rien d’autre. Même quand ils nous voient à la cafétéria, ils vont nous regarder : est-ce que tu es masqué, quelle est ta société… Les gens sont méfiants ! »

Pour les agents d’entretien, la pression est forte. « On est en première ligne. On n’a pas le droit à l’erreur. On oublie de mettre un savon dans les toilettes et l’affaire remonte tout en haut », raconte Mohamed, qui préfère ne pas donner son nom de famille. Comme ses collègues, il craint d’attraper le virus « mais après on n’a pas le choix, il faut qu’on travaille. »

Le mot d’ordre : « rassurer », même si la charge de travail s’en trouve alourdie. « Les gens doivent voir qu’on est partout, qu’on désinfecte les ascenseurs, les bureaux, comme ça, dès qu’ils touchent quelque chose, ils savent que ça a été nettoyé. »

A la pause déjeuner, Mohamed court pour tout aseptiser, claviers d’ordinateurs, tables, plexiglas entre les bureaux.

Rabah Kidri lui préfère éviter la cantine, qui n’a plus rien d’un lieu de convivialité: il faut y réserver sa place une semaine à l’avance, pour un créneau d’une demi-heure.

Dans une brasserie à deux pas de son travail, il va ce jour-là avec ses collègues du service « asset management » déguster un burger commandé grâce à un code QR – pour éviter de toucher les menus. « On essaie de manger ensemble », notamment « dans des restaurants (…) pour ne plus avoir le masque et se retrouver un peu. »

Avant la pandémie, ils s’y côtoyaient pour des soirées d’intégration ou des pots de départ, aujourd’hui prohibés. Soupapes de décompression, les verres entre collègues à la sortie du bureau se raréfient, fermeture partielle des bars et couvre-feu de 21H00 à 6H00 obligent.

« C’était un quartier très animé, je faisais de gros afterworks avec des concerts, des animations mais aujourd’hui, tout ça, c’est fini », se désole José Luque, directeur de la brasserie Histoire de, dont les deux étages sont loin d’être remplis ce jour-là comme les autres.

Le restaurateur estime accueillir 50% de clientèle en moins par rapport à avant. « Et le lundi et le vendredi, c’est 50% du 50% qu’on fait habituellement. » Préparer les plannings des serveurs relève du casse-tête. « Des fois on fait venir des gens pour rien et on les renvoie chez eux après une heure, on ne peut rien prévoir à l’avance ». « On a l’impression que le quartier est en train de mourir. »

Même constat autour de l’esplanade dans les commerces indépendants qui ont perdu leurs habitués. « C’est vide », se désespère Ophélie, manager dans un institut de beauté désert dont la moitié des employés est au chômage partiel. Avec le télétravail, les gens « ont changé leurs habitudes » et consomment plutôt près de chez eux.

« Le visage de l’autre »

Ambiance « morose », « tendue » à la Défense, disent ses salariés.

Face aux visages masqués et aux plateaux fantômes. « Tout le monde attend avec impatience de pouvoir enlever son masque, moi le premier, pour respirer un peu et ne serait-ce que pour voir le visage de l’autre », dit Laurent Lévy de Freelance.com.

Face à la deuxième vague et aux nouvelles mesures qui ne cessent d’être annoncées, au risque d’aggraver la crise économique. Pour cette année, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) prévoit une récession de 9% et la destruction de 840.000 emplois en France.

Si les grandes sociétés des tours de la Défense paraissent solides, elles prennent des coups.

Le cours de l’action Société Générale a presque été divisé par trois depuis février. Dans certains groupes, l’activité a chuté au point que les salariés sont désœuvrés. « Les managers essaient d’occuper les gens en confiant des tâches annexes », souffle cet employé d’une petite institution financière.

Les commerces du coin, privés des salariés quotidiens et des touristes d’habitude nombreux (8,4 millions par an en temps normal), sont à genoux: la U Arena, plus grande salle de concert d’Europe, a enregistré 28 millions d’euros de pertes financières. Le très chic restaurant La City, avec sa galerie d’art sur le toit de la Grande arche, a fermé temporairement faute d’être rentable.

« Tout est devenu plus pesant », soupire Chantal Raisséguier, directrice d’une société de conseil immobilier spécialisée dans l’hôtellerie.

« Dès que les choses redémarrent un peu, on a le sentiment qu’il va y avoir des annonces négatives, des freins qui se remettent. (…) Ça donne le sentiment que ça ne va jamais s’arrêter. »

Sans compter des conditions de travail déshumanisées.

A Freelance.com, comme dans beaucoup de sociétés de La Défense habituées aux outils numériques, le télétravail, imposé massivement et de manière soudaine, est la règle. Pour la plupart, les échanges se font depuis des mois par emails, visio, téléphone.

L’intégration des « nouveaux » est un casse-tête. A distance, « c’est quand même beaucoup plus compliqué de comprendre ce qu’on fait, qui est qui, les tenants et aboutissants de l’organisation », souligne Claude Tempe, vice-président de la société.

« Le body langage, les rapports humains, les ragots de couloir, tout ça construit la façon dont les gens communiquent entre eux. »

Cyril de Thoury, qui dirige un pôle de neuf personnes dans sa banque, raconte avoir recruté un jeune alternant sans l’avoir jamais rencontré. Son intégration avec des équipes présentes seulement 50% du temps a posé d’énormes difficultés.

Réinventer le bureau

Mais globalement, à Freelance.com comme ailleurs, le télétravail n’a pas posé de problèmes logistiques majeurs. « On a réussi à maintenir un niveau d’activité et de service quasi équivalent à ce qui se faisait quand tout le monde était au bureau », constate Claude Tempe.

Nombre de salariés ont d’ailleurs compris que l’ère de la présence au bureau touchait à sa fin. La pandémie a montré « qu’on peut très bien travailler de n’importe où en France avec une efficacité presque équivalente », dit Rabah Kidri prêt à « aller travailler ailleurs avec un salaire peut-être un peu moindre mais une qualité de vie supérieure ».

Un moyen de faire des économies pour des sociétés qui pourront être tentées d’y louer moins de m2 – comme certaines grosses entreprises l’ont déjà envisagé à la City de Londres ou à Manhattan.

A La Défense, quatre nouvelles tours sont en construction, dont deux de plus de 200 mètres de haut.

Paris-La Défense se veut optimiste: « On sait que l’immobilier est fait de cycles et depuis 60 ans La Défense en a connu de nombreux. »

Mais Christophe Burckart, directeur général de IWG, entreprise qui loue 18.000 m2 pour le coworking dans le quartier, ne croit pas à un retour en arrière. « Le bail conventionnel où les entreprises doivent s’engager à louer pour 6, 9 ou 12 ans devient une rigidité très contraignante pour les entreprises », affirme-t-il.

Persuadée que « le bureau va devoir se réinventer », Mme Raisséguier parle désormais au passé de ce pôle économique « extrêmement vivant » où elle a travaillé une vingtaine d’années.

« Est-ce que le quartier redeviendra aussi plein qu’avant ? Pas certain », avance-t-elle, alors que tout le monde attend un nouveau tour de vis qui pourrait aller jusqu’à un reconfinement.

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Économie

Pour lutter contre l’inflation, le gouvernement veut proposer des cours de cuisine aux enfants

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Pour lutter contre l’inflation, le gouvernement veut proposer des cours de cuisine aux enfants

La ministre Olivia Grégoire veut proposer des cours de cuisine aux élèves afin de lutter contre la mauvaise alimentation. Le Parti socialiste dénonce un « mépris social ».

La ministre en charge des PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, Olivia Grégoire, souhaite que les élèves apprennent les bases de la « cuisine du quotidien ». « Je crois aussi qu’il faut réapprendre à cuisiner des produits bruts, pour éviter d’acheter les produits ‘tout prêts’, plus chers », a avancé la ministre auprès de nos confrères de Sud Ouest vendredi 15 septembre.

Ce samedi, elle rappelle avoir demandé à la filière agro-alimentaire de faire passer de 2.500 à 5.000 le nombre de produits dans le dispositif « anti-inflation », qui représente « 20 à 25% du supermarché », avance-t-elle.

« Il faut que les cours de cuisine rentrent à l’école. Il y a un vrai enjeu de grand-mère, d’éducation à la petite cuisine du quotidien », a déclaré Olivia Grégoire dans cet entretien. Comme le rappelle également Le Parisien, en mars 2022, des chefs, des responsables d’écoles hôtelières ou du marché de Rungis étaient allé dans ce sens. Dans le magazine pour enfant Pif, ils avaient signé un manifeste en faveur de cette idée. En 2017 par ailleurs, le chef Alain Ducasse réclamait également des cours obligatoires de cuisine à l’école et au collège.

L’idée avait aussi été proposée par la sénatrice socialiste du Lot, Angèle Préville, mais l’objectif était autre. En marge de la publication d’une note parlementaire, elle s’était prononcée en faveur de cours de cuisine à l’école afin de lutter contre la consommation d’aliments dits « ultra-transformés », avait-elle précisé.

Mais l’initiative ne plaît pas tout à fait au chef du Parti socialiste Olivier Faure qui s’est fendu d’un message sur X (ex-Twitter) : « Même plus envie d’en rire. Chaque semaine, l’un d’entre eux dévoile leur inconscient : le mépris social en lieu et place de la justice. »

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Électricité : Une nouvelle hausse de 10% à 20% est à prévoir dans les prochains mois

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Électricité : Une nouvelle hausse de 10% à 20% est à prévoir dans les prochains mois

La présidente de la Commission de régulation de l’énergie, Emmanuelle Wargon, estime qu’une hausse de 10 à 20 % des tarifs de l’électricité est attendue au début 2024.

La Commission de régulation de l’énergie (CRE) en France prévoit une augmentation significative des tarifs de l’électricité en début d’année prochaine. Selon Emmanuelle Wargon, la présidente de la CRE, cette hausse devrait se situer entre 10% et 20% au cours de l’année 2024.

Cette annonce fait suite à la récente augmentation des tarifs de l’électricité en France, qui a été mise en œuvre le 1er août 2023. Le gouvernement français avait alors augmenté les tarifs de l’électricité de 10% dans le cadre d’une sortie progressive du « bouclier tarifaire » mis en place pour limiter les hausses dues à la crise énergétique européenne. Cette crise a été exacerbée par la guerre en Ukraine et la faible disponibilité du parc nucléaire français.

Il est à noter que cette augmentation avait été plafonnée à 15% au 1er février 2023, alors que les calculs de la CRE indiquaient qu’ils auraient dû augmenter de 99% à cette échéance.

Emmanuelle Wargon a souligné qu’il était encore trop tôt pour préciser le montant exact de cette future augmentation des tarifs de l’électricité, car elle dépendra des prix observés à la fin de l’année 2023. Cependant, elle a estimé que la hausse serait d’environ 10% à 20%, par rapport aux tarifs réglementés de vente (TRV) gelés en 2023.

La CRE tient à rappeler que, malgré ces augmentations potentielles des TRV, il existe toujours une distinction claire entre le calcul des TRV théoriques, basé sur une formule de calcul définie, et la décision finale prise par le gouvernement quant à la part de cette augmentation qui est acceptable et de celle qui doit être financée par le budget de l’État.

Cette nouvelle augmentation des tarifs de l’électricité en France pourrait avoir un impact sur le pouvoir d’achat des ménages et susciter des débats sur la politique énergétique du pays.

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Économie

TotalEnergies prolongera le plafonnement à 1,99 euro au-delà de fin 2023

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TotalEnergies prolongera le plafonnement à 1,99 euro au-delà de fin 2023

TotalEnergies et les supermarchés prennent des mesures pour atténuer les coûts des carburants face à la hausse des prix.

Alors que les prix des carburants atteignent des niveaux records en France, TotalEnergies, l’un des plus grands groupes pétroliers du pays, a annoncé qu’il maintiendrait le plafonnement des prix de l’essence et du gazole à 1,99 euro le litre dans ses 3 400 stations-service à travers la France. Cette décision fait suite à l’appel du ministère de la Transition énergétique à la « solidarité » face à la hausse des prix du carburant.

TotalEnergies avait initialement mis en place ce plafonnement en février 2023, avec une échéance prévue pour la fin de l’année en cours. Cependant, la récente flambée des prix a incité le groupe à prolonger cette mesure jusqu’à ce que les prix du carburant se stabilisent.

Les prix de l’essence ont récemment dépassé la barre des deux euros le litre, un niveau qui n’avait plus été atteint depuis avril. Cette augmentation incluait déjà le plafonnement en place par TotalEnergies. Face à cette situation, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, avait appelé le géant de l’énergie à prolonger cette mesure pour tenir compte des difficultés financières des automobilistes.

Le ministre Le Maire a souligné que la hausse des prix du carburant était en partie due à des facteurs internationaux, notamment la réduction de la production de pétrole par des pays comme l’Arabie saoudite et la Russie. Il a également exclu la possibilité d’une subvention gouvernementale généralisée, mesure utilisée en 2022 pour un coût estimé à 8 milliards d’euros.

La ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a salué la décision de TotalEnergies et a demandé aux fournisseurs et aux distributeurs de carburant de faire preuve de responsabilité. Elle a appelé à la solidarité tout au long de la chaîne d’approvisionnement, en insistant sur la nécessité de maîtriser les prix pour le consommateur final.

Dans les supermarchés, qui ne produisent pas leur propre carburant comme TotalEnergies, plusieurs enseignes ont annoncé des opérations de vente à prix coûtant. Les marges de ces supermarchés étant de l’ordre de 1 à 2 centimes, cela a un impact moins significatif que le plafonnement de TotalEnergies.

Intermarché, Casino et Système U ont déjà annoncé de telles opérations, tandis que la ministre de la Transition énergétique attend d’autres distributeurs qu’ils fassent de même.

La hausse des prix du carburant en France est un problème persistant cet été. La semaine dernière, le SP95-E10 se vendait en moyenne à 1,9359 euro le litre (+0,9 centime par rapport à la semaine précédente), le gazole à 1,88 euro (+2,3 centimes) et le SP-98 à 2 euros (stable). Ces tarifs n’avaient pas atteint de tels niveaux depuis plusieurs mois, selon les statistiques du ministère de la Transition écologique.

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