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« Un déchirement permanent »: en France, la détention malmène les liens parents-enfants

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Le visage de Shadene s’éclaire d’un grand sourire: son père, incarcéré à la prison des Baumettes à Marseille vient d’entrer à l’autre extrémité d’un box sombre. La fillette se lève pour toucher du bout des doigts la séparation en plexiglas que son père frôle en miroir.

Quarante-cinq minutes plus tard, un surveillant sonne la fin des retrouvailles.

Kamel, 40 ans, envoie des baisers de la main mais en remontant l’escalier vers sa cellule, son sourire retombe. « C’est trop court, je n’ai pas le temps de profiter d’eux, de leur accorder du temps à chacun », lâche cet homme frêle, incarcéré depuis deux ans après sa condamnation à huit ans de prison pour escroquerie.

De l’autre côté, Shadene, neuf ans, venue avec deux de ses frères, est au bord des larmes. « Je suis contente de le voir mais je n’ai pas pu lui raconter ma sortie scolaire. Je vois qu’il est fatigué, qu’il va mal… »

Un parloir comme les autres en ce samedi de février, auquel l’AFP a pu assister, autorisation rare obtenue dans le cadre d’une enquête de plus d’un an sur la parentalité derrière les barreaux.

Chaque année, dans l’Union européenne, 600.000 enfants sont séparés d’un parent incarcéré, selon une estimation du réseau Children of Prisoners Europe. Ils sont plus de 95.000 en France.

La Convention internationale des droits de l’enfant (Cide) garantit à l’enfant le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts réguliers avec ses deux parents et précise que les Etats doivent accorder « l’aide appropriée aux parents (…) dans l’exercice de la responsabilité qui leur incombe d’élever l’enfant ».

En France, dans leur immense majorité, les visites ont lieu dans des parloirs. Dans certaines prisons, ils se déroulent dans une grande pièce sans intimité, parfois en présence d’un surveillant.

Pour le Défenseur des droits », l’intérêt supérieur de l’enfant » n’est pas encore suffisamment pris en compte dans les prisons françaises.

Maman est à l’hôpital

Pour voir son père, Shadene, queue de cheval et survêtement rose pâle, a dû arriver une heure en avance « car une minute de retard suffit pour faire tout annuler », explique sa grand-mère qui l’accompagne. Puis elle a dû attendre dans deux sas, collée à d’autres visiteurs, anxieuse: la dernière fois sa barrette a fait sonner le portique de sécurité.

Le parloir est source d’ »insécurité » pour les enfants, affirme la juriste Marie Douris qui a étudié la parentalité en prison. « On parle entre adultes de l’affaire, des soucis de la maison, il ne reste que très peu de temps pour l’enfant », explique-t-elle.

Ces obstacles produisent « une relation qui s’étiole, se vide avec le temps, chacun est avec un mur invisible ».

Le mur est d’autant plus épais que les détenus comme leurs enfants essaient en permanence de « préserver l’autre » en cachant une dépression, des problèmes à l’école, une bagarre avec un codétenu, voire même la détention.

Magali, 36 ans, incarcérée pour quatre ans pour escroquerie, a caché pendant près de deux ans la vérité à Emma alors en maternelle. « J’avais peur que ce soit un vrai choc pour ma fille. (…) Je lui faisais croire que j’étais à l’hôpital », raconte la trentenaire au visage ovale de madone, elle-même élevée avec un père habitué des allers-retours en prison.

Aux sept ans d’Emma, « quand elle a su déchiffrer +centre pénitentiaire+ sur la façade, je lui ai parlé ». Mais à franchir chaque semaine les grilles de la prison, la fillette avait deviné.

La France condamnée

Pour le détenu, « la famille est un élément qui permet de se projeter dans l’avenir », assure le directeur des Baumettes, Yves Feuillerat. Kamel a ainsi appris à lire en prison pour écrire des lettres à ses enfants mais aussi « pour qu’ils soient fiers ».

Le Royaume-Uni, où les enfants qui ont un détenu dans leur famille sont plus nombreux que ceux qui ont des parents divorcés, en a pris conscience.

Le programme Invisible Walls, qui a permis d’octroyer aux parents des temps dédiés avec leurs enfants – pour donner le bain, aider à faire ses devoirs…- a eu un succès exceptionnel. Le taux de récidive a été réduit par deux, relève une étude du ministère de la Justice britannique.

En Italie, selon un rapport de l’ONU, les mères sont autorisées à « purger une partie de leur peine à domicile, à condition qu’elles aient des enfants de moins de 10 ans ».

La France, elle, s’est vu reprocher des entraves au droit de visite et a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour ses conditions de détention.

Le bruit des clés

Cela se passe une fois dans l’année aux Baumettes. Une journée unique au cours de laquelle les détenus retrouvent leurs enfants dans le grand gymnase de la prison marseillaise pour des retrouvailles festives organisées par des associations.

La dernière fois, c’était en mars 2020 juste avant le premier confinement en France.

Les parents ont cuisiné des gâteaux pour leurs petits invités et suspendu des ballons gonflables. Ils ont pu voir leurs enfants jouer, courir, rire… des scènes inimaginables au parloir.

Indifférent à l’agitation ambiante, malgré ses huit enfants qui tournent autour de lui, Kamel reste assis, caressant les cheveux de Shadene serrée contre lui. « J’ai envie de profiter de chaque seconde, c’est rare les moments comme ça où on se sent presque dans la vraie vie », glisse-t-il à voix basse, comme pour éviter de rompre le charme, ses mains nouées à celles de sa fille.

Les joues en feu après une partie de foot, Emma, la fille de Magali, avoue qu’elle était curieuse de voir la prison « de dedans ». La pré-ado de 10 ans a vu sur internet « des bagarres en prison » et trouve ça « dur de savoir que maman vit ici ».

En partant, les enfants ont le pas lourd. Groupés, entourés de surveillants en uniforme bleu marine, ils expérimentent pendant quelques minutes le quotidien de leurs parents: le bruit des clés dans les innombrables serrures, les lourdes portes métalliques qu’on n’ouvre jamais soi-même, les couloirs qui débouchent sur d’autres couloirs toujours grillagés.

Les parents refoulent leurs larmes.

Un adolescent blond en jogging noir résume: « C’était la plus belle journée depuis si longtemps et pourtant j’ai envie de pleurer. »

« Eviter la rupture »

« L’incarcération ne doit pas être synonyme d’abandon », insiste Florence Duborper, psychologue à la tête du Relais enfants-parents de Marseille, qui aide détenus et familles à « éviter la rupture » – sauf quand le parent détenu est « trop toxique » pour l’enfant.

Les journées festives, les groupes de paroles, l’accompagnement physique et psychologique des enfants en prison reposent « uniquement sur le tissu associatif », déplore Emmanuel Gallaud, de la Fédération des Relais enfant-parent. « Les priorités c’est la sécurité et l’horloge. »

Actuellement, l’association priorise « les demandes sur les enfants qui n’ont pas de parloir », explique M. Gallaud, notamment ceux que personne n’accompagnerait sinon voir leur parent emprisonné.

C’est le cas de Nicole, 49 ans, détenue depuis trois ans aux Baumettes pour complicité de meurtre. Cette femme aux cheveux auburn, rejetée par sa famille depuis son arrestation, ne peut voir sa benjamine de 12 ans, placée en famille d’accueil, que grâce au Relais.

Dans une aile à part de la prison, le Relais offre une pièce chaleureuse: dessins au mur, petites chaises, jouets… Ici, sa fille arrive accompagnée par des membres de l’association, pas par des surveillants comme au parloir ce qui « ‘l’angoisse terriblement ».

« Le fait de pouvoir faire un jeu de société, lire une histoire ensemble, va dénouer des choses », surtout pour les plus petits qui ne parlent pas forcément et ont l’espace de communiquer en jouant ou crapahutant, constate Mme Duborper.

Les Relais, qui peuvent compter sur des fonds publics et privés mais seulement une aide « symbolique » de l’administration pénitentiaire, ne sont présents que dans la moitié des prisons de France.

Et dans sa décision de 2019, le Défenseur des droits dénonce aussi des « inégalités territoriales » dans l’accès des détenus aux Unités de vie familiales, ces mini-appartements dans lesquels les détenus peuvent passer entre six heures et trois jours en famille. Tout détenu peut en bénéficier une fois par trimestre selon la loi, mais seuls 52 établissements pénitentiaires sur 185 en sont équipés.

« Déchirement permanent »

Ce n’est qu’après sept ans de détention qu’Eva, condamnée à 20 ans, a eu droit à 24 heures dans une telle unité. Un choc.

Elle réalise que dans sa tête, elle est restée la maman de deux petits garçons. Ils sont aujourd’hui adolescents: « J’avais l’habitude de mettre les deux dans le bain et là le grand a fermé la porte de la salle de bains, m’empêchant d’entrer, ça m’a fait bizarre. » Des détails – « le grand aime les tomates maintenant »- lui font comprendre qu’elle a « perdu le fil ».

Malgré lettres, visites, coups de fil, reste « ce déchirement permanent », « l’impression de tout rater », décrit-elle de sa voix grave et douce.

Avec l’incarcération, les positions changent dans la famille. Chez Kamel, l’aîné de 15 ans « prend ma place, je m’en rends compte ». Sa femme, qui « ne prend aucune décision sans lui », assure pourtant qu’il « joue son rôle de père, même en détention ».

Ces familles ont subi de plein fouet la pandémie de Covid-19, qui a provoqué une interruption totale des parloirs pendant deux mois en 2020 en France. Depuis, les unités de vie familiales restent suspendues, les Relais n’ont repris qu’en octobre, en pointillé et « pas partout ».

Kamel ne veut plus voir sa benjamine de deux ans, qui « pleure derrière la vitre » qui la sépare de son père. Il a perdu 20 kilos en une année: « Je déprime. Je n’ai pas serré mes enfants dans mes bras depuis un an, c’est trop dur. »

Dans une interview au quotidien français Libération, la contrôleuse des lieux de privation de liberté a décrit « des parloirs atroces » depuis le début de la crise sanitaire.

Nicole, privée de Relais, a passé six mois sans voir sa fille. Elle a confié, les yeux rougis, avoir tenté de se suicider.

*tous les prénoms ont été modifiés

 

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France

Manifestation contre la réforme des retraites : 2 millions de manifestants selon la CGT

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Manifestation contre la réforme des retraites : 2 millions de manifestants selon la CGT

La mobilisation contre la réforme des retraite était en baisse mardi. A Paris, la CGT a dénombré 450 000 manifestants, contre 800 000 le 23 mars dernier.

Des chiffres en baisse. Entre 740 000 personnes, selon le ministère de l’Intérieur, et « plus de 2 millions », d’après la CGT, ont défilé dans toute la France, mardi 28 mars, pour la dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Le 23 mars, lors de la précédente journée de manifestations, quelques jours après l’adoption du texte à l’Assemblée nationale, près de 1,09 million de personnes s’étaient mobilisées en France selon la place Beauvau et 3,5 millions selon la CGT.

L’affluence du mardi 7 mars reste la plus forte du mouvement, avec 1,28 million de manifestants, selon le ministère de l’Intérieur, et 3,5 millions, d’après la CGT. Il s’agit également du record depuis 30 ans pour une mobilisation contre une réforme des retraites, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Le précédent record datait du 12 octobre 2010, avec 1,23 million de manifestants contre la réforme du gouvernement de François Fillon.

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Soupçons de fraude fiscale géante : des perquisitions en cours dans cinq banques en France

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Soupçons de fraude fiscale géante : des perquisitions en cours dans cinq banques en France

Les banques Société générale, BNP Paribas, Exane (filiale de la BNP), Natixis et HSBC sont visées.

Des perquisitions sont menées dans cinq établissements bancaires et financiers à Paris et dans le quartier de La Défense, mardi 28 mars, dans le cadre de cinq enquêtes ouvertes en 2021 sur des soupçons de fraude fiscale aggravée, annonce le Parquet national financier dans un communiqué, confirmant une information du Monde. « Ces enquêtes font suite pour certaines à une plainte ou à une dénonciation obligatoire de l’administration fiscale », précise le PNF.

Les banques Société générale, BNP Paribas, Exane (filiale de la BNP), Natixis et HSBC sont visées par ces perquisitions, a appris franceinfo de source proche du dossier, confirmant une information du Monde. Elles sont soupçonnées d’une fraude fiscale pour un montant supérieur à un milliard d’euros. Les perquisitions vont durer toute la journée, selon la même source.

Elles interviennent après les révélations du quotidien en 2018, d’un schéma de fraude dit « CumCum », une combine fiscale sur les dividendes dont le préjudice pour les Etats se chiffrerait à plus d’une centaine de milliards d’euros. Selon le ministère public, ces opérations sont menées par 150 enquêteurs de Bercy, 16 magistrats français et 6 allemands.

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Le déficit public a reculé en 2022 et la croissance a réduit le poids de la dette, selon l’Insee

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Le déficit public a reculé en 2022 et la croissance a réduit le poids de la dette, selon l'Insee

Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, s’est félicité des résultats annoncés. Le gouvernement prévoit de repasser sous les 3% de déficit fixés par l’UE d’ici 2027.

Des données en recul grâce à « la résilience de notre économie ». Le déficit public français a reculé à 4,7% du PIB en 2022, après avoir atteint 6,5% en 2021 et 9% en 2020, rapporte l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), mardi 28 mars. La dette des administrations publiques est également en léger recul, atteignant 111,6% du PIB à la fin de l’année dernière contre 112,9% fin 2021 et 114,6% du PIB fin 2020, d’après l’Insee.

« En 2022, grâce à une croissance solide et à de bonnes recettes fiscales, le niveau de la dette publique atteint 111,6% du PIB, ce qui nous permet de respecter notre objectif de finances publiques avec un déficit qui s’établit sous les 5%, à 4,7% », a salué le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, sur Twitter. « Nous confirmons nos objectifs : 3% de déficit en 2027 et une diminution de la dette publique. »

L’endettement public de la France, qui s’est massivement accru avec la crise sanitaire puis l’inflation exacerbée par la guerre en Ukraine, a augmenté en valeur absolue de 126,4 milliards d’euros par rapport à 2021, atteignant 2 950 milliards d’euros, détaille l’Insee. Mais la croissance économique de 2,6% en 2022 a permis de réduire le poids de cette dette en pourcentage du PIB.

Si les comptes publics avaient un peu meilleure mine en 2022, la dette et le déficit publics restent très supérieurs à leur niveau d’avant crise en 2019, du fait du massif « quoi qu’il en coûte » déployé par le gouvernement pour soutenir les ménages et les entreprises. La dette publique représentait alors 97,4% du PIB, et le déficit public s’affichait à 3,1%.

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