Des personnes âgées, oubliées du conflit, luttent pour survivre loin de chez elles, entre traumatismes et précarité.
Dans un refuge de Kharkiv, Zinaïda Guyrenko résume sa conception du bonheur : ne pas mourir de faim, avoir de quoi se vêtir. À plus de 80 ans, cette ancienne employée des chemins de fer a vu son existence basculer avec l’invasion russe. Évacuée de son village près de Koupiansk, zone régulièrement pilonnée, elle évoque avec confusion les bombardements qu’elle a subis. « Tout s’effondrait autour de moi. Quand j’ai rouvert les yeux, j’étais encore là, comme par miracle », murmure-t-elle, les larmes aux yeux.
Comme elle, des milliers de seniors ukrainiens paient un lourd tribut à la guerre. Selon l’ONU, près de la moitié des civils tués près des lignes de front en 2024 avaient plus de 60 ans. Beaucoup, attachés à leur terre ou incapables de fuir, ont choisi de rester dans des zones dangereuses. D’autres, évacués de force, se retrouvent dans des structures saturées, comme le centre Velyka Rodyna, fondé à Kharkiv dès les premiers mois du conflit.
Olga Kleïtman, architecte devenue gestionnaire du refuge, dénonce le manque de soutien des autorités. « Ces gens ont travaillé toute leur vie. Ils méritent une fin de vie digne », insiste-t-elle. Son établissement, qui héberge 60 résidents, survit grâce à la générosité de donateurs privés. Parmi eux, Serguiï Ioukovsky, amputé des deux jambes, a perdu son frère dans une attaque. « Je ne sais même pas où il repose », confie-t-il, avant d’ajouter, rageur : « Mais l’Ukraine tiendra bon. »
Les histoires se succèdent, toutes marquées par la violence et l’exil. Iouriï Miagky, 84 ans, originaire du quartier martyre de Saltivka, erre dans ses souvenirs, demandant si son pays « a été divisé ». Olga Zolotareva, ancienne aidante pour handicapés, montre avec amertume la cicatrice qui lui barre la jambe, blessée par un éclat d’obus. « Je veux juste remarcher un jour », soupire-t-elle.
Dans ces murs, la guerre a volé bien plus que des foyers : elle a dérobé la sérénité de ceux qui, après une vie de labeur, espéraient des jours paisibles. Malgré tout, des lueurs d’espoir persistent. Olga Zolotareva glisse, dans un sourire timide, qu’elle rêve encore de « l’odeur d’un homme ». Une humanité fragile, mais tenace, au milieu des ruines.