Avignon sous tension : le tramway, nouvel axe du narcotrafic
Dans la cité des papes, les règlements de comptes entre trafiquants se multiplient, plongeant les habitants dans un climat de peur et d’insécurité.
Le dimanche 2 mars, vers 17 heures, une scène de violence éclate le long de la ligne de tramway à Avignon. Deux hommes à scooter échangent des tirs d’armes automatiques, obligeant le conducteur du tram à accélérer et à franchir des feux rouges pour éviter une tragédie. Par miracle, aucun passager n’est blessé, mais cette fusillade marque un point de rupture dans une ville déjà fragilisée par le trafic de drogue. Une quinzaine de douilles sont retrouvées, témoignant de l’intensité des échanges de coups de feu.
Cette affaire survient alors que l’Assemblée nationale s’apprête à débattre d’une proposition de loi visant à lutter contre le narcotrafic. Avignon, comme d’autres villes moyennes, est devenue un symbole de cette crise. Quelques jours avant cette fusillade, trois autres incidents armés avaient déjà fait plusieurs blessés. Un jeune homme de 21 ans avait également été tué à l’arrêt de tram « Barbière-Cap Sud », dans ce qui semble être un règlement de compte lié au trafic de stupéfiants. Une poussette se trouvait à proximité, rappelant la dangerosité de ces affrontements.
Le commissaire Charles Barion, responsable de la police judiciaire d’Avignon, décrit une escalade de la violence. « Avant, les tirs avaient lieu tard dans la nuit. Aujourd’hui, ils se produisent en plein jour et visent directement les membres inférieurs des victimes. La brutalité a atteint un niveau inédit », explique-t-il. Le tramway, inauguré en 2019 pour désenclaver les quartiers sud, est devenu un axe stratégique pour les trafiquants. « Il dessert tous les points de deal et constitue un moyen de transport sûr pour les dealers », souligne le commissaire.
Les habitants, eux, vivent dans la peur. Hélène Avcioglu, 52 ans, compare son quartier à « un petit Marseille ». Kévin, 17 ans, confie que ses parents lui interdisent de sortir, sauf pour des activités encadrées comme le bowling ou le sport. « Quand les tirs commencent, on est tous concernés », dit-il. En 2021, l’assassinat du policier Eric Masson par un jeune dealer avait déjà traumatisé la ville. Depuis, la situation n’a fait qu’empirer.
Face à cette crise, les élus locaux réclament des renforts permanents de forces de l’ordre et la fermeture des 12 points de deal identifiés, qui génèrent entre 20 000 et 40 000 euros par jour. Les chauffeurs de tramway, transportant 10 000 personnes quotidiennement, ont même cessé de desservir certains quartiers pendant une semaine, exigeant des garanties de sécurité. « Nous ne voulons pas nous retrouver sous le feu des balles », déclare André Saliba, délégué FO du réseau de transports Orizo.
Malgré les efforts déployés – rénovation urbaine, initiatives culturelles, déploiement de caméras de surveillance –, la maire Cécile Helle reconnaît que ces mesures se heurtent à une réalité implacable : « La violence s’est banalisée à tous les coins de rue. » Une soixantaine de CRS et une quinzaine de motocyclistes ont été déployés pour rétablir l’ordre, mais leur présence reste temporaire.
Pour certains habitants, la solution passe par un retour des services de proximité. « Avant, nous avions des MJC et une police de proximité. Aujourd’hui, ces quartiers paient les conséquences des décisions prises par Nicolas Sarkozy », déplore un employé du bailleur social Grand Delta Habitat. Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, promet une « réponse globale » pour combattre le narcotrafic. Mais, comme le souligne le sénateur PS Lucien Stanzione, « une place nette, sans projet, reste une place vide ».