Le rapporteur public a recommandé l’annulation de la résiliation du contrat, estimant que les griefs de la préfecture ne sont pas suffisamment étayés. Une décision qui pourrait redonner espoir à l’établissement lillois.
Le lycée musulman Averroès, situé à Lille, pourrait bientôt retrouver son contrat avec l’État, après que le rapporteur public a préconisé mardi l’annulation de sa résiliation. Ce magistrat, chargé d’éclairer les juridictions administratives, a contesté la plupart des griefs avancés par la préfecture du Nord, qui avait rompu le contrat en décembre 2023 en invoquant des « manquements graves aux principes fondamentaux de la République ». La décision finale sera rendue le 23 avril.
Le rapporteur public a passé en revue les accusations portées contre l’établissement, soulignant que les éléments avancés par la préfecture n’étaient pas suffisamment probants. Bien qu’il ait reconnu certains manquements, il a estimé qu’ils ne justifiaient pas une rupture du contrat. Parmi les reproches figurait notamment l’utilisation présumée d’ouvrages contraires aux valeurs républicaines, notamment un recueil de textes religieux mentionné dans une bibliographie de cours. Cependant, le magistrat a précisé qu’aucune preuve ne démontrait que cet ouvrage avait été effectivement étudié.
La préfecture avait également critiqué la prédominance d’ouvrages sur l’islam dans le Centre de documentation et d’information (CDI) du lycée, au détriment d’autres religions. Le rapporteur public a toutefois relevé la présence de dix livres traitant d’autres confessions, ainsi que d’ouvrages sur la laïcité, ce qui atténue selon lui cette critique. Par ailleurs, plusieurs inspections menées par l’Éducation nationale n’avaient pas révélé de motifs suffisants pour justifier la résiliation du contrat.
Depuis la rupture du contrat, le lycée Averroès, qui était jusqu’alors le principal établissement musulman sous contrat en France, a vu ses effectifs chuter de 470 à 290 élèves. Pour compenser la perte des subventions publiques, l’établissement a dû doubler ses frais de scolarité et lancer une cagnotte en ligne afin de financer son fonctionnement. Cette situation a mis en lumière les difficultés rencontrées par les écoles musulmanes sous contrat, souvent soumises à des contrôles plus stricts que d’autres établissements privés.
Le représentant de la préfecture s’est dit « extrêmement surpris » par les conclusions du rapporteur public, tout en reconnaissant qu’Averroès est un « excellent lycée ». Il a cependant exprimé des réserves quant à une éventuelle « porosité » entre la pédagogie de l’établissement et certains courants liés aux Frères musulmans, affirmant qu' »on ne peut pas financer un établissement qui considère que la loi divine est supérieure à la loi de la République ».
Pour le chef d’établissement, Eric Dufour, les déclarations du rapporteur public constituent un « vrai soulagement ». Il a salué une décision qui « lave l’honneur » du lycée et démontre son respect des valeurs républicaines. L’avocat de l’établissement, Sefen Guez Guez, a quant à lui estimé que les « prétendues atteintes aux valeurs de la République » n’étaient pas fondées.
Cette affaire intervient dans un contexte plus large de tensions autour des établissements scolaires musulmans en France. La semaine dernière, le tribunal administratif de Lyon a refusé de rétablir le contrat d’un autre lycée musulman, Al Kindi, accusé de manquements similaires. L’association gérant Averroès a dénoncé une « inégalité de traitement » entre les écoles musulmanes et d’autres établissements privés, citant notamment le cas du lycée Stanislas à Paris, dont le contrat n’a pas été remis en cause malgré des dérives signalées.
Fondé en 2003 après l’interdiction du voile à l’école, le lycée Averroès était devenu en 2008 le premier établissement musulman à passer sous contrat avec l’État. Aujourd’hui, la France compte 77 établissements scolaires musulmans, dont six sont partiellement ou entièrement sous contrat. La décision finale du tribunal administratif, attendue le 23 avril, sera déterminante pour l’avenir de cet établissement et, plus largement, pour celui de l’enseignement privé musulman en France.