Nous rejoindre sur les réseaux

Sète

Portrait : Marin-pêcheur, et demain ?

Article

le

Image d'un proche de Sebastien Corlay, sur un chalutier breton. Assis sur le butin, la pêche a sans doute été « bonne » ce jour là. Fevrier 2008

Face à un avenir incertain, le quotidien des marins-pêcheurs se gâte… Des jours de mer
réduits, des subventions supprimées, des conditions de travail « à l’ancienne »… Rencontre avec Sebastien Corlay, marin-pêcheur breton installé à Sète.


Vêtu de son ciré jaune et de ses paires de bottes montantes, Sébastien apparaît à l’avant du chalutier, prêt à lancer la corde pour accoster l’engin. Il est 17h30. Levé depuis deux heures de la matinée, la journée se termine enfin. Entre sommeil éveillé, brouhaha des machines, cris strident des mouettes qui s’accrochent au bateau, et surtout, le ronronnement permanent du moteur : les moments de répit s’y font rares. Sébastien, marin-pêcheur chez Vincent Scotto, propriétaires de plusieurs chalutiers à Sète, s’apprête à retrouver son véhicule. Il est pressé. Il est déjà dix-huit heures, s’il se hâte il lui restera suffisamment de temps pour faire quelques courses, de quoi grignoter en vitesse, et tenter de rattraper quelques heures de sommeil avant le retentissement du prochain réveil. La Bretagne puis la Corse, avant de s’arrêter il y a une dizaine d’années, en bord de méditerranée, et plus exactement dans la ville portuaire de Sète, réputée pour son port de pêche.

Près de 20 ans passés en mer

Cela fait presque vingt années, que Sebastien, trente-quatre ans, passe la majeure partie de ses journées (et pour ainsi dire de ses nuits), en pleine mer, rien d’autre à l’horizon. Un panorama presque enviable. Idéale, la vie de pêcheur ! Mais non. Ce n’est pas tout à fait de cette façon que notre breton perçoit son quotidien. Venu s’installer au départ pour nulle autre raison que la « qualité de vie », caractéristique du sud de la France, Sébastien ne regrette aucunement son choix. « En Bretagne, il y a les marées, alors quand on part c’est pour trois semaines minimum, ici à Sète ils rentrent chaque soir ».


Un fonctionnement à la « vieille école »


Coupé du monde à tous les niveaux : loin de la terre, loin des hommes et loin… du réseau. A l’ère où les comportements «ultras connectés » envahissent les villes, les rues, les places ou les restaurants, les pêcheurs eux en sont encore loin. Fonctionnement à la « vieille école » : pour l’embauche ou le licenciement, on est toujours à l’heure du porte à porte. Les vacances à une condition : trouver un remplaçant… Quant au régime appliqué en matière de congés payés, c’est très simple : ils sont intégrés au chèque de la semaine. Traduction : en période de congés, Sébastien ne perçoit aucun salaire. Papa d’un garçon de neuf ans, Sacha, dont il a une fois été privé pendant plus de six mois après avoir été embauché par un bateau corse… Oui, la mobilité dans la pêche, c’est autre chose. Quand on quitte la méditerranée, on se retrouve en Atlantique, en mer indienne, voire pire selon le type de poissons recherchés. Il n’y a qu’à voir les restrictions en matière de pêche au thon, qui imposent aux thoniers des saisons de pêche bien établies (environ trois semaines par an) qui plus est, durement sanctionnées lorsqu’elles sont dépassées. Des restrictions qui envoient les pêcheurs pendant plus d’un mois à l’autre bout du globe, partir à la recherche du fameux « thon rouge ». Il faut bien satisfaire les asiatiques, gros consommateur de fruits de mer, particulièrement la population japonaise très friande de thon cru…


« Pas de poissons, pas de chèque »


Aujourd’hui, Sebastien vit seul, il ne vit plus à Sète où le foncier est devenu si exorbitant qu’il a été contraint il y deux ans, de déménager à Frontignan. Ville balnéaire déjà moins cotée, à quelques kilomètres. Un réveil qui sonne trente minutes plus tôt, une place de parking à trouver chaque matin, gratuite quand c’est son jour de chance (en habitant à Sète il pouvait rejoindre le port à pied). En cinq ans, Sébastien a vu ses jours de mer réduire un peu plus chaque année (soit exactement 40 jours de mer en moins par rapport à l’an dernier), ses subventions supprimées, et un salaire en chute libre. « S’il n’y avait que ça encore », soupire Sébastien.

Et la santé dans tout ça ? Le visage marqué, Sébastien raconte le quotidien des rafales de vent et de la violence des vagues qui surpassent le chalutier, pour finir dans leurs bottes. En effet, les contraintes sont nombreuses, surtout quand on est breton sur un bateau sétois, conçu en Bretagne. S’en vanter ? Sans façon pour Sébastien, démarche vérifiée et fiable à 100% pour entrer en guerre avec un sétois. Bref, quand on est breton à Sète, mieux vaut se faire « petit ». Puis à quatre sur un bateau au large des côtes, mieux vaut s’entendre : « le temps y passe plus vite ».

Entre passion et précarité…

Profiter du bon vivre en bord de méditerranée, mais à quel prix ? Oui, la réalité des conditions en mer il part en mer pour la première fois. A cette époque il a 14 ans, et il tient à prêter main forte à son père, lui même ancien pêcheur à la retraite. Tel père tel fils… A ce moment la, Sébastien est loin d’imaginer que 20 ans plus tard, il perdra la quasi-totalité de l’audition à l’oreille gauche, après la chute d’un câble en fer de plusieurs tonnes…

Banalisation des risques, précarité… Aujourd’hui, ses aspirations évoluent. Et il y a de quoi. Parmi ses proches marin-pêcheurs : un frère tombé récemment par-dessus bord (ayant échappé de peu à la mort), et son ami José, pêcheur depuis 40 ans a perdu deux de ses doigts à quelques mois de la retraite… Pas de retraite pleine pour José. Suffisant pour repenser ses priorités. Le paradoxe du pêcheur passionné « malgré lui » : « trop passionné pour arrêter, mais plus assez pour continuer ».

1 Commentaire

1 Commentaire

  1. Guigou

    28 septembre 2020 at 10 h 05 min

    On aurait pu ajouter aussi la prise de conscience tardive tan des armateurs que des marins sur les formations, qui donnent une plus-value pour pouvoir évoluer dans tous les secteurs Maritimes autres que la pêche.
    Très bon article qui reflète la réalité de ce beau métier

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Les + Lus