François Liberti, l’ancien député-maire de Sète et pêcheur inscrit maritime, alerte dans cet édito pour Le Singulier, sur la crise de la pêche en Méditerranée.
Depuis la création du port de Sète, la pêche méditerranéenne est un des marqueurs de l’identité culturelle, économique et sociale de notre ville de Sète.
Avec les petites métiers de la mer ou de l’étang, la flotte chalutière et thonière, son activité conchylicole, avec l’apport d’un savoir faire construit au fil d’une immigration féconde venue d’Italie, d’Espagne, du Maghreb ; Sète est devenue le premier port de pêche de la Méditerranée française.
L’existence des prud’homies de pêche avec leurs règlements protecteurs de la ressource animées par des Prud’hommes élus par les pêcheurs eux-mêmes, ceci bien avant l’existence de l’Union Européenne, a bâti une spécificité dans les pratiques liées aux espèces et au milieu. Pratiques spécifiques qui, hélas, ont été totalement ignorées voire méprisées par « l’Europe bleue ».
Par ses choix, la France et tous les gouvernements successifs ont abandonné toute autonomie dans la maîtrise de ces activités et de la gestion de la ressource. Plus de 3000 marins embarqués dans le quartier maritime de Sète il y a quarante ans. Combien aujourd’hui ? Huit cent licences de pêche dans l’étang de Thau dans les années 80, il en reste à peine une centaine aujourd’hui. Voilà la réalité.
La crise profonde que connait la pêche aujourd’hui trouve ses racines dans les choix politiques des ultras libéraux de tout poil, de droite comme de gauche, qui ont uniformisé les règlements communautaires au mépris de la spécificité méditerranéenne riche pourtant de pratiques de gestions protectrices de la ressource avec une pêche de main d’œuvre quasi artisanale et familiale.
Le financement massif par l’Europe d’unités nouvelles, surtout pour le chalut et le thon, comme, quelques années plus tard, le financement de la destruction massive de ces mêmes unités (plan de déchirage) ont profondément abimé la pêche à Sète et sur le littoral. La pêche au thon rouge à la senne relativement dynamique fait-elle exception dans ce constat ? Pas tant que ça !
Fortement soutenue et encouragée financièrement par l’Europe avec un développement totalement débridé et sans réel contrôle, au point de mettre en péril la ressource a suscité de multiples réactions. L’Europe, avec l’ICAT ont dû se résoudre à modifier les pratiques. Aujourd’hui c’est une pêche fortement encadrée avec des quotas, des temps de pêche limités, des contrôles sur les navires et les lieux de pêche. Il n’en demeure pas moins que dans l’attribution des quotas, la petite pêche côtière reste pénalisée au regard des flottes des thoniers senneurs.
Globalement pour l’ensemble des métiers de la pêche, l’accumulation des directives communautaires énoncées au nom de la protection de la ressource n’a en fait que trop souvent acté l’arrêt de l’activité de la pêche artisanale alors que dans le même temps l’Europe bleue a fait la part belle aux lobbies de l’agrobusiness. Ces lobbies agissant directement au plus près de la commission européenne sont les représentants des grandes flottes industrielles que l’on ne voit jamais dans nos ports et qui, 24 heures sur 24, saccagent la ressource pour fabriquer, par exemple, de la farine de poisson qui alimente les exploitations d’élevages intensifs dans les mers du nord et en Grèce.
Les aides publiques qui financent ce gâchis seraient plus utiles à conforter une pêche durable, à préserver les règlements prud’homaux qui interdisent par exemple en Méditerranée les marées de plusieurs jours, la pêche à la civelle ; ou encore à encourager la coopération conchylicole dans les lagunes. La spécificité méditerranéenne n’a rien de passéiste. C’est un modèle de développement protecteur de la ressource, de l’emploi et des circuits courts pour continuer demain de manger du poisson frais.
Dans cette analyse, que dire des insuffisances de l’état français en matière de recherche ? La sardine grossit sur les côtes italiennes ou espagnoles mais pas dans le golfe du Lion, pourquoi ? Est-ce dû à la pollution du Rhône et ses conséquences sur le plancton ? Quel est l’impact de l’urbanisation massive des littoraux ? Les pêcheurs réclament et attendent depuis des années un vrai travail de recherche spécifique. Il en est de même concernant l’état de la biodiversité dans l’étang de Thau qui s’est considérablement appauvri avec la disparition d’espèces et par voie de conséquence des pêcheurs qui en vivaient.
Aujourd’hui, l’actualité est marquée par le plan de « casse » qui va réduire la flotte chalutière du port de Sète à huit unités. Cette décision cumulée à la réduction des jours de pêche autorisés et à la hausse du coût du carburant risque d’être fatale à l’existence même de la criée de Sète et ce malgré l’apport des petits métiers.
Dans ce contexte, les aides des collectivités, pour aussi utiles qu’elles soient, ne font, hélas, qu’accompagner la crise qui appelle des réponses politiques fortes à l’échelle de l’Etat et de l’Europe.
Les instances professionnelles de la pêche ont donné des éléments et fait des propositions précises et claires pour que la spécificité méditerranéenne devienne la règle et la référence pour gérer la ressource de notre littoral.
C’est un choix politique qui s’impose à tous, du local à l’Europe, si on veut parler d’avenir.
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