Yves Marchand, l’ancien député-maire de Sète, connu pour ses analyses socio-politiques pertinentes, a réagi pour Le Singulier aux graves accusations et dénonciation de fraude par un ex-chef de service Sète Agglopôle Méditerranée.
Se débarrasser des déchets est toujours trop cher pour celui qui paie pour s’en défaire. Mais pas assez cher pour celui qui a charge de les éliminer.
Les décharges sauvages sont devenues anecdotiques. Tout passe désormais par les tris, les déchèteries, les incinérateurs, et la transformation en compost ou en énergie de ce que nous ne voulons plus voir et mieux, que nous voulons ignorer.
De ce constat est né un commerce florissant. Le plus souvent légal. De grandes entreprises font commerce d’élimination de déchets, gagnent beaucoup d’argent à regarder de près ce qui répugne tout le monde. Mais sont nées aussi des pratiques illégales d’autant plus juteuses qu’elles naissent dans l’indifférence générale.
Naples est reconnue dans le monde entier comme la principauté du trafic réalisé par la mafia sur le traitement des ordures. Il n’est pas toujours nécessaire d’aller aussi loin. Les mauvaises pratiques se développent partout où les intérêts conjoints d’une entreprise et d’un service public permettent aux payeurs de payer moins, et au traiteur de gagner plus.
Tout commence en général par les déchets toxiques, les plus difficiles à éliminer parce qu’ils demandent des précautions particulières.
Parmi ces déchets, outre les substances chimiques dangereuses, les déchets médicaux exigent des traitements individualisés, et par conséquent onéreux, qui renchérissent considérablement le coût de leur élimination. (J’ai le souvenir, lorsque je présidais aux destinées de l’hôpital de Sète, des surcoûts importants qu’imposait la destruction des reliquats opératoires sujets à provoquer des contaminations, et des explications budgétaires que le directeur devait fournir sur ce point au conseil d’administration).
Deux moyens sont souvent employés par les fraudeurs. Soit l’empaquetage de ces déchets dangereux avec les déchets ordinaires au mépris des risques courus (sida, maladies, contaminations) par les agents chargés de les traiter. C’est le procédé le plus en cours dans les structures gérées par la mafia qui exige, en dessous de table, la « juste » compensation de sa discrétion.
Ce peut être aussi, dans les structures moins obscures, la minoration de volume de déchets toxiques sous-évalués, au bénéfice de l’entreprise et au détriment d’un service public pas plus regardant que la mafia sur le prix payé par l’usager ou par le contribuable. Dans les deux cas, c’est celui qui n’y est pour rien, qui paiera. Rien de nouveau sous le soleil.
Ces dérives conduisent à une réflexion politique plus générale.
Lorsque la mafia prend la direction des opérations, c’en est fini de la liberté. Le règne de la menace et de la peur balaie toute possibilité de se référer à la loi. Il n’y a plus de loi, plus de liberté, seulement un rapport de force et de domination, de chantage et d’extorsion de fonds.
Tandis que l’état de droit, tant qu’il survit, veille à maintenir « la loi qui affranchit ».
C’est dire combien il est grave, dans une démocratie garante de la liberté individuelle et du respect des lois, de voir un service public céder par intérêt aux exigences injustes et illégales d’une entreprise privée. C’est déjà la porte ouverte au commerce du crime. Car une telle complaisance ne peut être consentie sans que d’autres infractions au moins aussi graves ne viennent frapper au cœur les principes humains fondamentaux.
Entrent en jeu d’abord les complicités qui peuvent soit être imposées par l’autorité aux exécutants, soit consenties par les exécutants à l’autorité au nom de l’amitié ou de la solidarité partisane, ou enfin obtenues par l’autorité contre quelques avantages matériels alloués aux exécutants.
Autorité, paternalisme ou corruption sont toujours le prix à payer.
Mais surviennent aussi, pour s’assurer d’un résultat discret, les contrôles, les surveillances, les violations d’intimité et pour finir les délations. Tout un champ de dommages collatéraux consécutifs à la manœuvre échafaudée pour échapper à la loi par les ressorts conjoints d’une entreprise et de l’autorité politique.
L’état de droit se loge parfois dans une simple boîte à ordures.